À la découverte des nombres surréels

Christian Obrecht

Dans les premières pages de son Analyse des infiniment petits, le Marquis de L'Hospital présente la demande suivante :

« On demande qu'on puisse prendre indifféremment l'une pour l'autre deux quantités qui ne différent entr'elles que d'une quantité infiniment petite ; ou (ce qui est la même chose) qu'une quantité qui n'est augmentée ou diminuée que d'une autre quantité infiniment moindre qu'elle, puisse être considérée comme demeurant la même. »

De nos jours, une telle assertion ne parait pas recevable. Il semble d'ailleurs que nombre de contemporains du Marquis récusaient déjà son point de vue. À bien y regarder, pourtant, l'axiome :

« Dans un plan, par un point extérieur à une droite $d\/$, il passe au moins deux droites distinctes qui ne sont pas sécantes à $d\/$. »

n'est pas moins choquant. Ce qui le rend plus facilement acceptable à nos yeux, c'est que nous disposons pour le plan hyperbolique de modèles simples comme ceux de Poincaré.

Jusqu'à présent, l'analyse non standard n'a pas eu cette chance. Le point de vue originel, celui de A. Robinson [8], repose sur des mathématiques sophistiquées (plus précisément la notion d'ultraproduit), ce qui le rend peu à même d'être largement diffusé. La version plus récente de E. Nelson [7], dite théorie I.S.T., ajoute des axiomes à la théorie des ensembles et par conséquent s'affranchit de la nécessité de fournir un modèle pour les objets qu'elle étudie. L'inconvénient est ici que l'on peut légitimement ne pas être convaincu de la pertinence de ces nouveaux axiomes.

Une troisième voie, utilisant les nombres surréels, a été ouverte récemment par W. C. Davidon [2]. Découverts par J. H. Conway [1], ces nombres ont tout d'abord été utilisés en théorie des jeux. Ils font à présent partie intégrante de la théorie des nombres, où ils prolongent la théorie des ordinaux. Ils permettent en particulier de réaliser une construction remarquablement élégante de l'ensemble des nombres réels.

L'objet de cette étude est de présenter une modeste introduction à la théorie des nombres surréels et de montrer qu'ils permettent de définir, de manière relativement aisée, les notions usuelles de l'analyse élémentaire.




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