Considérons un ensemble totalement ordonné contenant l'ensemble des nombres réels ( 1 ). Un élément de est un infiniment petit positif ( 2 ) si et pour tout réel positif , . Un élément de est un infiniment grand positif ( 3 ) si et pour tout réel , .
Existe-t-il, relativement à cette définition, un nombre réel infiniment petit ? Soit un réel positif tel que pour tout réel positif , . Le corps ordonné des nombres réels est archimédien, c'est-à-dire que pour tout réel strictement positif et tout réel positif , il existe un entier naturel tel que . Si nous supposons , nous pouvons alors écrire qu'il existe un entier naturel tel que , donc tel que , ce qui est contradictoire. On en conclut que .
Considérons à présent, le corps des fractions rationnelles à coefficients réels d'indéterminée . Ce corps est une extension de R. On y définit la relation suivante : pour et deux éléments de , on note et les fonctions rationnelles associées ; on a si et seulement s'il existe un nombre réel M tel que pour tout , . Il est simple d'établir qu'il s'agit d'une relation d'ordre strict.
Théorème La relation est une relation d'ordre total sur .
Le lecteur pourra s'il le souhaite vérifier les lemmes suivants.
Lemme 1 Si est un élément de , alors ou ou .
Lemme 2 Soit un élément de tel que et la fonction rationnelle associée. Si alors admet un nombre positif pour limite en et si alors admet pour limite en . ( 4 )
Lemme 3 Soit une fonction rationnelle non constante, tendant vers 1 en . Il existe un nombre réel M tel que pour tout , ou tel que pour tout , .
Démonstration Soit et deux éléments de . Pour démontrer que et sont comparables il suffit, d'après le premier lemme, d'observer trois cas : et ; et ; et . Le troisième est trivial. Nous n'étudierons donc que le premier cas, le deuxième étant similaire au premier.
Notons et les fonctions rationnelles associées respectivement à et à ; le nombre réel tel que pour tout , ; le nombre réel tel que pour tout , .
Si alors, d'après le deuxième lemme, la fonction rationnelle tend vers en . Il existe donc un nombre réel N tel que pour tout , . Posons . Ainsi pour tout , , donc .
Si , on procède de même pour la fonction rationnelle et on obtient .
Si alors, d'après le deuxième lemme, la fonction rationnelle tend vers un nombre positif en . On a , ou .
Si , alors il existe un nombre réel N tel que pour tout , . Posons . Ainsi pour tout , et donc .
Si , la démarche est identique au cas précédent et . Enfin, si , le troisième lemme permet de conclure.
Pour être complet, remarquons de plus que la relation d'ordre considérée est compatible avec l'addition et la multiplication dans . (La démonstration est immédiate.) Nous pouvons donc conclure que muni de cette relation d'ordre est un corps ordonné étendant R. On se permettra par conséquent d'utiliser le mot nombre pour désigner un élément de ce corps.
Observons à présent le nombre . Il s'agit d'un infiniment grand, car pour tout , . En outre, pour tout , . Le nombre est donc un infiniment petit. Toute expression contenant ne conduit pas nécessairement à un infiniment grand ou un infiniment petit. Ainsi peut être interprété comme un nombre infiniment proche de 1. En effet, est un infiniment petit. On constate d'ailleurs, qu'il n'y a aucun nombre réel figurant dans l'intervalle .
La construction que nous venons d'étudier a l'avantage d'être simple. Elle est malheureusement trop limitée pour que l'on puisse songer à en faire un usage sérieux. Elle ne nous procure aucun moyen, par exemple, de donner un sens à des expressions telles que ou . Pour en découvrir davantage, il est nécessaire d'avoir recours à une construction plus élaborée. Il en existe deux : celle de J. H. Conway, reprise par D. E. Knuth [4] et celle, plus récente, développée par H. Gonshor [3]. C'est cette dernière que nous allons aborder à présent.